Partir, c’est mourir un peu – Alexandre Page

En tant que chroniqueuse en littérature j’ai tendance (comme beaucoup d’entre-nous d’ailleurs) à m’attribuer un genre littéraire de prédilection. Depuis une dizaine d’années, j’avais plutôt tendance à dire aux personnes qui m’entouraient que ce genre littéraire était la fantasy. Mais en faisant un rapide bilan de mes lectures de cette année 2019, de ma Pile à Lire et de mes futurs achats livresques pour l’année à venir, je me rends compte que la fantasy est au bas de la liste et que j’ai mis un point d’honneur à représenter les romans historiques. Cette année je me suis surtout attachée à la période 1930-1945 pour l’Europe de l’Ouest et les années 1960-1970 pour l’Asie. Peu à peu, je me suis rendue compte qu’il me manquait quelque chose, un thème, une période, un pays que je n’avais pas encore découvert.

C’est Alexandre Page qui m’a fait voyager en cette fin d’année avec son premier roman Partir, c’est mourir un peu, publié en juillet 2019. Ce roman fait partie de mes derniers coups de cœur 2019 ! Avant d’aller plus avant dans cette chronique, voyons de quoi ça parle….

Russie. 1910. Igor Kleinenberg, un russe d’origine estonienne se voit offrir le poste de précepteur d’allemand auprès des quatre filles du Tsar Nicolas II. C’est à travers les yeux de Herr Kleinenberg que nous entrons dans l’intimité de la famille impériale et également de l’Empire Russe. Partagé entre ses leçons et les activités mondaines de la famille Romanov, Igor sera le témoin de la chute du régime tsariste.

C’est avant tout un roman très surprenant. On retrouve un texte à la première personne, le personnage d’Igor Kleinenberg nous prend par la main et ne nous quitte plus. Les romans historiques peuvent être compliqués à lire et surtout à suivre. Alexandre Page a relevé ce défit avec brio ! Malgré un ouvrage de plus de 700 pages, son personnage principal nous permet immédiatement de nous plonger dans notre lecture, dans ce nouvel univers qu’est la Russie du début du XXème siècle. Igor est le pivot de notre lecture, on comprend aisément ses réactions, ses sentiments et son attachement pour la famille impériale. La construction de ce personnage s’est fait de manière très intelligente, il est au début lui-même étranger à ce cercle très fermé qu’est la famille impériale, tout comme nous lecteur. Et c’est à travers ses expériences, notre expérience de lecture que nous découvrons au fil des pages l’histoire d’une famille, d’un pays.

Il va sans dire qu’il s’agit d’une très belle découverte pour ma part. C’est une partie de l’Histoire que je connaissais peu, voire pas du tout en ce qui concerne certains aspects. De chapitres en chapitres, on salue le style de l’auteur qui alterne tantôt les descriptions détaillées de l’architecture russe, d’art, ou encore de paysages et les souvenirs du personnage principal ou des personnes qu’il a pu côtoyer pendant une période de neuf années. C’est un roman qui se veut réaliste et l’auteur prend le parti de nous raconter l’histoire des derniers Romanov d’un point de vue intimiste qui nous éloigne quelque peu des affres de la politique. Les propos du narrateur sont souvent nuancés et lorsque les sources historiques ne sont pas tout à fait certaines, il n’hésite pas à prévenir le lecteur qu’il n’était pas présent lors de tous les événements majeurs qui se sont déroulés.

Il faut également louer l’énorme travail de recherche qu’a dû accomplir Alexandre Page pour rester au plus près de la réalité historique de cette époque. Les sources et les références ne manquent pas et c’est ce qui nous permet de nous plonger d’avantage dans ce roman (je fais référence notamment aux nombreuses photographies d’époque que nous retrouvons tout le long de notre lecture).

Il n’y a que deux genres de souverains, dit-on, qui s’exposent aux révolutions et aux coups d’Etats : les trop gentils et les trop cruels. Il se trouve toujours des mauvais pour renverser les premiers, et des oppressés pour renverser les seconds. L’indulgence et le pardon, voilà les deux vertus qui causèrent d’abord la perte de Nicolas II.

La première partie nous montre la famille impériale sous un jour nouveau, celui d’une famille à la tête d’un Empire mais qui reste simple et qui, si elle avait eu le choix, n’aurait pas choisi la voie de la politique. On s’attache énormément à l’Impératrice et au Tsar mais également à leurs enfants dont les activités rythment notre lecture. Le narrateur doit apprivoiser ses élèves tout comme le lecteur doit apprivoiser cette période de l’Histoire. Nous évoluons de concert tout en douceur au rythme des saisons, des voyages en Crimée, dans les Fjords de Finlande, et des soirées dansantes. La seconde partie met plus en avant la politique que le Tsar et sa famille essayent de mettre de côté lors de leurs moments privilégiés. Pris entre les guerres balkaniques, les révolutionnaires de 1905 et la Première Guerre Mondiale, la souveraineté de Nicolas II est remise en question et c’est sa générosité qui signera sa perte.

C’est vraiment roman complet dans lequel on se plait à se laisser aller d’une page à l’autre, d’une année à l’autre. On voyage dans le temps et l’espace et c’est souvent la brutalité des conflits engendrés par les affres de la politique qui nous ramènent dans le monde réel. Ce regard sur le passé nous amène à nous poser des questions sur notre société actuelle et plus particulièrement sur les problèmes géopolitiques que nous n’avons toujours pas résolu.

Je tiens à remercier Alexandre Page pour cet envoi de qualité !

Si l’histoire de la Russie vous intéresse, c’est un roman à ne pas manquer !

« Partir, c’est mourir un peu ». Je me souviens qu’à notre départ de Tsarkoïe Selo, l’impératrice récita ce vers d’un poète français du nom d’Edmond Haraucourt. Je n’appris que plus tard son origine mais il retint mon attention, car l’impératrice ne s’exprimait pas fréquemment en français et il symbolisait si bien notre situation dans la première moitié du mois d’août 1917!

Judith

 

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